ECRIS DE JOIE - 1994

Une femme suit des yeux l'homme vivant qu'elle aime.
 René Char

L'oiseau rouge des métaux vole soucieux d'embellir l'existence. La mémoire de l'amour regagne silencieusement sa place...
 René Char

Plume légère ignorant tout de l'encre,
Caresse corps papier jusqu'au gémissement,
Secondes de semaine, temps d'absence infinis,
Encor un jour, un autre jour, un autre jour encore...

Tu accueilles la vie, en fais une explosion
Pour l'autre douce intense. Avoues-tu ton secret ?
Vivre dans un regard, valoir une fortune.
La facture de joie promet d'être salée !

Organise nos temps comme une symphonie,
Tu l'as fait tien. Un sac de notes en vrac,
Quelque instrument aimé, feu de bois ambiance,
Jouir, rêver jouir, belle bulle irisée.

Un rêve peut durer bien plus long que la nuit
Porté de fou en fou jusqu'à ce qu'il parvienne
Accompli. Humble travail à réaliser
Avec un peu d'espoir et beaucoup de patience.

Passé minuit aucune explication n'explique.
Condamner ?  A vivre, à vivre la joie, pure !

Immaculée. La trace rouge crie :"Je suis là,
Vivante !"  Quel autre cri pourrait-il briser l'air ?
A bonne revendication, bon entendeur ;
L'espoir peut-être va rejoindre l'attente
En explosion de joie. Monter à son niveau.

Forgée. Tes propres coups et ton propre marteau ;
Rouge vif, rouge sang : encor un coup de feu !
Dégangué sous les chocs, l'oiseau-amour prend vie
Tel que conçu parfois ; tel que rêvé aussi.
Être depuis toujours le pays où il naît.

Eclose. La rose rouge vif au milieu de la neige
Ta sève l'a poussée comme un cri éclatant ;
Nul homme bien acquis n'en pourra dire mal.
Le connaisseur connaît et suscite la chance
D'être là, attentif, attiré, attendu.

Légère. Soleil d'aube dans un ciel net bleu noir ;
Incroyable ? Vouloir créer enfante l'imprévu.
Rouge orangé touche à peine et caresse les yeux
Noyés dans le sommeil de la nuit enfantine.
Le temps vire en tous sens, puis remonte ses pas.

Peut-être faudra-t-il choisir d'autres mystères,
Libre roue retenue par d'ancêtres ornières ?


Tu seras pierre d'éclair aussi longtemps que l'orage empruntera ton lit pour s'enfuir.
 René Char

C'est pourquoi deux éclairs au lieu d'un sont nécessaires si la nuit glisse en nous son signet.
 René Char

Que dire ? Le silence plein accomplit toute chose
Avant qu'un mot diamant ne ponctue l'achevé ;
Tant de facettes traduisent l'instant perpétué,
Echo de bruits mirés de cœur à cœur, intense.
Jamais, lors de ces comptes, un plus un valent deux.

Demain vaut-il d'être attendu un jour encor ?
Aucun vivant ne vit orage renoncer ;
Violence contenue, douce ou échevelée,
Eclate alors que nul hasard ne trouble la partie.
Subsister foudroyé étonne et rend paisible.

Platine iridié, j'obéirai aux lois
Inscrites pour l'unique chemin de l'éclair :
Susciter dans le temps l'explosion et la joie.
Tendres doigts reguidant vers l'onctueux plaisir.
Pointe forgée, tu veux où la foudre t'atteint.

Le lit montre la voie possible, acquise même
Aux décharges liquides qui emportent ou qui créent,
N'importe : l'éternité gardera trace des passées
Que la lumière irise l'eau coulée sur la pierre
Ou que le conflit fasse un prodige d'enfant !

Fuir ou lutter ? Bien provoqués ces orages
Portent l'éclair qui mue l'idée en plaisir fou.

A qui appartiendrait une nuit scintillée
Glissée en nous comme lame d'os lisse ?
Qui surprend l'extraordinaire, s'en mêlera
Afin que nul jamais n'investisse la place
En prétendant par cette voie toucher au but. 

Exact. Les pleurs sont nécessaires si l’œil glisse
En caresse insistant de beauté en beauté ;
Provoquant l'émotion l'objet reste cristal
Insensible à l'émoi, qu'elle soit douce ou drue.
N'empêche, sans échange, le regard atteint peu.

Et puis qui sait comment les faces du bois tournent
Parmi les cas possibles ? Vers elles ou contre tout ?
Sous les intempéries ou fourrure en dedans ?
Cirées pour admirer ou chaudes pour le cœur ?
Doute ! Une marque en l'indiquant le lève.

Seul l'éclair changera telle réalité
S'il atteint dans le temps les rêves séparés :
Echanger le regard, devenir l'un pour l'autre,
L'invisible tracer, goûter saveur de joie.
Hissée la voile orage promet forte arrivée !

Feux vifs entre faces d'une même médaille ;
Les conçues invisibles s'étonnent, émerveillées.


Ce frère brutal se tenait au centre de tous les malentendus, tel un arbre de résine dans le froid inalliable.
René Char

Ils sont privilégiés ceux que le soleil et le vent suffisent à rendre fous...
 René Char

L'arbre, distillant sa résine, espère l'étincelle
Soudaine embraseuse qui justifiera l'odeur
Malgré que l'incendie ne soit considéré
Qu'instant bref, violent, plein mais inrécidivable.
Surtout ne mêle pas de froid à ta chaleur.

Extraire un baume fin du brut aromatique ;
Le procès sans doute n'en sera pas facile
Si la subtile voie passe entre flamme et arôme
Sans traces empreintes, rare, unique, risquée.
Un rien peut embraser si le vouloir défaille !

Cœur de rose des vents, lieu d'équilibre atteint,
Tu aspires à l'axe violent du clair vivant,
Ce brutal constructeur de monde chaleureux
A coups de reins rageurs et d'explosions éclats.
De pair à pair, la paix sereine cote à ce prix.

Le porteur de désir taille sa route immense
Dans l'affouillée offerte aux quatre vents abrupts ;
Vivant, tel quel il s'offre et tel quel il est pris
Sans garantie que le don corresponde au désir.
Pour qui passe, aboutir ne pose pas problème !

L'erre du temps persiste et court, vie arrêtée
Depuis des millénaires sertie d'ambre doré !

Soleil d'aube illumine l'éclos de rêves nés, commis.
Soleil de plomb hurle cri du métal, âme éprouvée.
Soleil d'orage : l'espoir perce le scénario des chocs.
Soleil de minuit projette veille d'actes immarcescibles.
Soleil de feu distille l'arôme éclatant du plant.
Etc...
La lumière joue avec les nerfs de l'homme qui admire.

Vent... Les voiles bousculent la goélette vers le port.
Vent... L'aigle des mers se fond dedans les filets d'air.
Vent... L'aile du moulin crie et mène à bonne fin.
Vent... Le cerf volant danse et joue à y prendre ses bois.
Etc...
Cet air là embruyante le vide du cerveau.

Fou l'amour d'automne atteint la braise toujours vive.
Folle la joie de vivre, intense quand l'inachevé meurt.
Fou le plaisir explosif qui projette au-delà du conçu.
Fou le bonheur d'exister attente paisible d'impossible.
Etc...
L'écho relancera les cris éblouissants.

Contracté gré à gré entre soleil et vent,
Oncques n'abolira privilège de fou.


Les hommes aux vieux regards qui ont eu un ordre du ciel transpercé en reçoivent sans s'étonner la nouvelle.
 René Char

Femme qui lui avait appris alors qu'il n'était encor qu'une graine captive de loup anxieux, la tendresse des hauts murs polis par votre nom.
René Char

Maîtrise. Le regard de ceux qui sortent appartient à la fin
D'au moins mille générations de fous intérieurs
Quittant, goutte à goutte, la scène de silencieux discours
Inouïs : rien ne transpire lorsque repos s'en mêle
Même si l'ardeur ne manque pas dans la déroute.

Tolérant. Aucun point de la roue qui ne vaille moins
Qu'un refuge éternel pour chaque autre mû
Par la volonté d'être fraternel une fois
Pour toute anomalie décelée par sens caché.
Rien de brutal ne sera soutenu du vent.

Paisible. Le calme du sommeil fait partie du désir
Caressé au creux du ventre, ferme fille féline
Se présente encor une fois afin de participer
Au rêve : Rien ne se passe hormis la vive vie.
Une espèce de "Qu'est-ce-à-dire ?" éclate le temps !

Délébile. Le trait de l’œil sur l'avenir
Barre les fantasmes incommis faute d'audace
Car il ne suffit pas, pur, d'avouer ses joies
Pour se trouver investi d'un passé enfin net.
Jamais effacé du regard ne manquera.

Etonnement biaisé peu à peu par le temps
Pousse donc le soupir d'homme non reconduit.

Engainé le coup parti sans origine
Autre que douteuse, début de miracle
Dont nul n'acceptera l'innocence originelle
Si survivre s'inscrit au centre d'un nœud dur.
Compte des mil et un voyages à la mort.

Esprit heurté aux barreaux méfiants et forts
De ceux qui sauvage vie ne toléreraient
Dans le temps ordonné et l'espace adjugé
Au cours de siècle de siècles mal ensuivis.
N'importe que le mur enclose  ou bien protége.

Envelopper d'amour agrandit le plaisir
D'être là, différent, rugueux, brutal, ancré
Dans la violence de rendre don pour don
Sans priser la coulée du temps infiniment.
Abandonnons ! Mot mien, je te sais de toujours.

Une à une effacée aucune aspérité persiste
Pour accrocher l'écorché vif démeneur fou
De voyages initiatiques intérieurs à la bulle
Soufflée de tendresse, souple et inentamable.
Axe quartz inventé pour la meule de grés.

Bâtir la maison d'unilatéral cristal
A jeter le regard  et renvoyer la haine.


Je suis meneur de puits taris que tes lointains approvisionnent.
René Char

Celui qui marche sur la terre des pluies n'a rien à redouter des épines, dans des lieux finis ou hostiles...
 René Char

Fixe. La découpe du mont à l'horizon de l'aube
Si le regard change lorsque change le lieu
Et court le temps fou du jour indisciplinable
A jouer puis passer l'obstacle accumulé.
Berger des rocs, tu mords la terre à pleines dents.

Ardu. Conduire les nœuds de vie enclos au sein des pierres
Alors que la racine sans feuille fouille à y parvenir ;
Rien de simple n'émerge du conflit de la roche et de l'arbre
Au temps que dure la bataille paisible avec la bête.
Chien rameutant notre troupeau de mythes.

Pire. L'essentiel du fardeau reposera
Sur l'airain de la bête de somme, sourde
A la douleur fouie au fer bleu par la forge
Crachant le rouge sombre amour inépuisé.
Il faut être léger si l'on veut faire route.

De loin. La source sourd alimenter de gré
Les désirs creusés au hasard incertain
D'inspiration sur la magie du lieu choisi
A la croisée de rais émis, signes séduits.
Le plein offre sa voix au mince délié.

Qu'importe de construire un xième pouvoir
Si l'unique vouloir défaille à faire choix !

Piste rêche du roc, espoir risqué du puits
Recueillant l'eau comme d'autres l'enfant précieux
Produit de fille preux avec l'errant lointain,
Route fil enceinte d'un but mystérieux.
Empreinte du serpent intracée sur la pierre !

Route des vents tendue vers un nouvel épice
Créateur de plaisir et faiseur d'or aussi
Mais le tout disputé à la rage du temps
Aux frontières armées entre le ciel et l'eau.
Scruter dessus la mer la trace de la nef !

Voie du pays de l'homme empruntée dans l'instant
Où tout bascule en joie d'atteindre l'alliance
Ecrite de toute éternité pour l'enfant
Semé au centre du conflit, vifs corps à corps.
Rien ne fera connaître ceux qui l'auront connue !

Savourer les chemins sans risque des pays
Où trace des vivants empreint toute passée
Quel que soit l'objectif de l'errance hasard
Et quel que soit le lieu de croisement destin.
Homme qui veut nouer siècles et rêves bruts !

Arbre qui ramassait ses feuilles à l'automne
Marchait sur le chemin encor trempé de pluie.


A chaque effondrement de preuve, il répond par une salve d'avenir ...
 René Char

O ma petite fumée s'élevant sur tout vrai feu, nous sommes les contemporains et le nuage de ceux qui nous aiment...
René Char

Encor un peu de toi persiste, odeur du vent
Venue de lointaines contrées impavides
Car aussi bien la vie est route de la mort
Sans peur à insérer quelque rêve affilé.
La lutte contre l'ange attise encor la flamme.

Goût amer de présentes batailles troublées
Et perdues par on ne sait quel hasard douteux
Alors que rien ne présageait malencontre
Du choc des joies issues de nos obstinations.
Avorté le conflit père de toute chose !

Créer encor parmi la matière fétide
L'objet d'émotions à défier le temps ;
Créer encor à coup de passions résurgées
L'arrêt mystérieux sur l'image séduite.
Exaspérance au brut et brûlant mal atteint.

Créer enfin pour remonter le temps fluvial
Sans cesse brandissant son rameau d'olivier
Afin d'esquiver l'inévitable combat
Conduisant aux choses infinies défaites.
Epaves d'actes nets posés comme témoins.

Réserver chaque instant à tirer l'ultime
Salve, fleurs dispersées en pierres à venir.

Formes indéfinies qui projettent l'objet
Idéal renouvelé instantanément
Au souffle d'air ténu de caresses songées
Sous l'émotion blottie, vivace, protégée.
Concurrentes d'idées sculptées dedans la pierre.

Légèreté des formes surprises à l'espace
Creux ému d'accueillir telle épouse bleutée
Visitante hasardeuse et sans autre projet
Que de se couler, douce, parmi le temps qui passe.
Un rien subtil vaut mieux que deux biens épuisants.

Notre feu brûle alimenté de rejets vifs
Cueillis à tout instant vécu intensément
Afin de créer seuls flamme, fumée et cendre,
Somptueuse cathédrale en signes mouvants.
Reste de cendre prête au cristal à venir.

Deux éclairs issus chacun depuis les fins fonds
De l'espace se précipitent l'un vers l'autre
Afin d'atteindre le même âge, où l'amour naît
D'une rencontre unique en mille dimensions.
Les enfants qui s'aiment n'habitent nulle part !

Compagnons de la Marjolaine, hébergeons
L’œil des nuages clairs et des bâtons rompus.